Projet "De l'art dans les mathématiques" : décryptage
Cette année, l'atrium du lycée Jacob Holtzer s'est vu envahi par une sorte de toile d'araignée, non pas tissée par un de ses prédateurs invertébrés, mais par des élèves ! Cette structure, subitement apparue un jeudi matin, a surpris et questionné notre communauté scolaire. Qu'était-ce donc ? Explications...
C'est dans le cadre de l'accompagnement personnalisé qu'un atelier alliant art et mathématiques a été proposé aux élèves de 1ère 2 et 1ère 3. Art et mathématiques ? Un bien étrange mélange... Vraiment ? Cette union est exploitée depuis longtemps, notamment par les grands peintres de la Renaissance italienne : pour représenter notre espace réel (à trois dimensions) sur une toile (à deux dimensions), ils ont eu recours à la perspective, procédé largement étudié en mathématiques. Dans ce cas, les mathématiques constituent un outil pour l'art pictural.
Raphaël, L'école d'Athènes
Pour notre projet, nous nous sommes plutôt dirigés vers l'art contemporain. Certains artistes comme François Morellet ou Victor Vasarely ont largement décliné les mathématiques dans leurs oeuvres d'art. Nous avons eu la chance de rencontrer et de collaborer avec un artiste plasticien et mathématicien, qui a intégré cette démarche dans son travail. Il s'agit de Pierre Gallais (www.institutdemathologie.fr).
Pierre Gallais, à l'envers !
Pierre Gallais, Mathou
Sa mission a été de faire découvrir aux élèves qu'une interaction riche entre art et mathématiques était possible, que l'on pouvait trouver de l'art dans les mathématiques, utiliser l'art pour mettre en scène les mathématiques, pour révéler une certaine beauté des mathématiques, pour les rendre sensibles, au toucher, à la vue, pour les rendre concrètes. Bref, nous nous sommes donné comme objectif de créer du beau avec les mathématiques ! Et quitte à le faire, autant le faire dans un espace majestueux : l'atrium du lycée. Un cylindre de 15 mètres de haut par 12,50 mètres de diamètre. L'idée de créer et d'installer une surface mathématique dans ce grand espace commence à se dessiner. La tâche semble ambitieuse. Aux mathématiques de la rendre possible. Une idée s'impose alors à nous : un hyperboloïde à une nappe. Petite explication : un hyperboloïde à une nappe est une surface de révolution (tout comme un cylindre) c'est-à-dire une surface que l'on peut engendrer en faisant tourner une figure plane autour d'un axe. Ici, la figure plane est une branche d'hyperbole (courbe connue de nos lycéens) et l'axe est celui du cylindre.
Très bien, mais comment faire tourner une branche d'hyperbole dans cet immense atrium ? La réponse est que nous n'avons pas les moyens de réaliser cela... Qu'à cela ne tienne ! Ayons alors recours à une propriété remarquable de notre hyperboloïde : c'est une surface réglée, c'est-à-dire qu'elle contient une infinité de droites. Étrange pour une surface courbée... mais pas difficile à imaginer avec la maquette construite pour l'occasion :
Avec cette maquette, nous rendons cette surface sensible et nous voyons d'ores et déjà émerger une certaine poésie : fabriquer des courbes avec des lignes droites ! C'est fou ce que l'on peut faire avec deux jantes de vélo, des fils et... des mathématiques ! Pour matérialiser cette surface dans l'atrium, il nous suffit donc de tendre quelques fils d'acier (on choisit d'en prendre 48) et le tour est joué. Un peu facile tout de même, et les notions mathématiques à exploiter sont assez légères. Approfondissons alors la réflexion... Tiens, et si nous nous amusions à couper cette surface par un plan, qu'obtiendrions-nous ? Un peu d'expérimentation et de recherche et la réponse tombe : selon l'inclinaison du plan, on obtient une ellipse, une parabole ou bien une hyperbole : trois courbes emblématiques des mathématiques. L'hyperbole, on l'a déjà (sur la face de notre hyperboloïde) alors partons sur une ellipse, puis sur une parabole. Nous décidons donc de couper notre surface par deux plans. Ces plans vont intersecter les fils d'acier selon des points qui se trouveront sur notre ellipse et sur notre parabole. Nous choisissons de matérialiser ces points par des boules, bleues pour l'ellipse et rouges pour la parabole.
Mais alors, à quel niveau placer précisément ces boules sur les fils pour obtenir les courbes voulues ? C'est là que le voyage mathématique se poursuit : de notre monde concret fait de l'atrium, de fils droits et de boules de couleur, plongeons dans le monde abstrait des nombres : l'atrium, les fils, les boules sont des objets concrets, qui dans le monde mathématique, sont transformés en nombres abstraits. Par exemple, l'atrium devient l'équation x²+y²=12.5², les fils se muent en (r'cos(15k+135)-rcos(15k)];r'sin(15k+135)-rsin(15k);h), les plans de coupe en ax+by+cz+d=0 et les boules en une formule trop compliquée pour être écrite dans cet article ! Les calculs théoriques, assistés par l'ordinateur, remplacent les objets et nous donnent la solution : la position précise de chaque boule sur les fils. Le travail dans le monde abstrait peut s'arrêter. Nous retournons dans le monde concret avec nos précieux résultats. Pourvu qu'ils soient justes ! Pour le vérifier, une seule possibilité : réaliser la structure dans l'atrium. Les élèves se transforment en bricoleurs et se mettent à mesurer, couper, enrouler, visser. Ils préparent les 48 fils. Nous pouvons enfin passer à l'installation.
En un mercredi après-midi, la moitié des fils sont tendus par des élèves volontaires (ils ont pris sur leur temps libre !). C'est alors que la magie opère : les mathématiques ont vu juste. On commence à percevoir l'hyperboloïde et l'ellipse est bien formée. Il faut revenir un deuxième mercredi après-midi pour finir l'installation. Là, c'est autour des boules rouges de venir se positionner sur la parabole prévue.
Tous les fils sont en place. Quelques erreurs de mesures nous obligent à faire certains réglages, mais à vrai dire, très peu. Nos calculs mathématiques ont été performants et ils génèrent la forme abstraite imaginée. Mission accomplie !
Reste au visiteur d'accomplir la sienne. Pour cela, un petit mode d'emploi :
- Pour un voyage, gratuit, du concret vers l'abstrait et réciproquement !
Notre installation permet des allers-retours entre ces deux mondes, pour peu que votre cerveau veuille bien participer au voyage : l'hyperbole, l'ellipse et la parabole sont des courbes mathématiques continues (c'est-à-dire que l'on peut tracer au crayon sans lever la main). Il en va de même en quelque sorte pour l'hyperboloïde. Ça, c'est dans le monde abstrait ! Notre réalisation, faite de fils et de boules qui appartiennent au monde concret, est au contraire discrète (c'est-à-dire avec pleins de trous). C'est donc au visiteur (plus exactement à son cerveau) de boucher ces trous pour reconstituer mentalement les formes mathématiques abstraites. Vous avez suivi ?
- La structure réserve quelques surprises à découvrir selon les points de vues.
Citons par exemple les courbes qui paraissent plus ou moins évasées, les boules qui peuvent sembler alignées, les fils apparaissant puis disparaissant en fonction de l'éclairage naturel, le reflet de l'atrium dans boules...
- Tournez autour de l'installation, parcourez-la sur toute sa hauteur, levez les yeux vers le ciel ou plongez-les vers le plancher. Chaque position offre un nouveau point de vue. A vous de trouver celui qui vous fera peut-être rêver...
Post scriptum : http://images.math.cnrs.fr/Hyper-cute.html est l'adresse d'un article dédié à ce projet et rédigé par Pierre Gallais sur le site du CNRS "Images des mathématiques". N'hésitez pas à le visiter !
Projet réalisé avec le soutien de la Région Rhône-Alpes